Charlemagne Palestine
entretien réalisé le 7 mai 2012 à Bruxelles.Charlemagne Palestine (ou Charles Martin, ou Chaim Moshe Tzadik) est un compositeur, plasticien et performeur né à Brooklyn en 1947. Il fait partie de l'avant-garde new-yorkaise des années '70: LaMonteYoung, Phill Niblock, Steve Reich, Philip Glass… Ses concerts/performances s'apparentent à des rites et sont la plupart du temps en lien étroit avec les conditions et spécificités du lieu où ils se jouent. Strumming Music (1974) est un des ses travaux le plus connu: 45 minutes dans lesquelles deux notes répétées progressivement se transforment en cluster dont les résonances changent au fur et à mesure que l'instrument se désaccorde (il en existent des version pour cordes, pour piano et pour clavecin). Il vit actuellement à Bruxelles avec sa compagne Aude, des dizaines de peluches et deux Bösendorfer Imperial.
Fabrizio Rota: Rites sonores, performances, interventions, concerts… dans tes activités l'action semble avoir une place centrale. Est-ce que tu te considère comme un musicien ?
Charlemagne Palestine: On peut dire que je fais de la musique mais je ne me pense pas comme musicien. Je pense plutôt -comme tu l'as remarqué- que ce que je fais n'est que le produit d'une action. Je me conçoit plus comme quelqu'un qui agit que comme quelqu'un qui joue. En ce sens je me sens plus proche de la pratique des Aktion Künstler que de n'importe quel autre type de musicien. Pour cette raison j'ai souvent été considéré un outsider dans le monde musical.
Tes performances ont une marque personnelle particulière et sont, par exemple, très différentes des performance de FLUXUS…
Je me demande pourquoi tous ceux qui m'interviewent tôt ou tard mentionnent FLUXUS. Je n'ai jamais eu de connexion avec ce groupe exception faite pour le fait que je me suis "bourré la gueule" avec le trois quart d'entre eux. Je trouve leur pratique trop rigide, cérébrale et formelle, mais… ils ont tous beaucoup de soif, et c'est cette soif qu'on a partagé. [rires]
Est-ce qu'on pourrait te définir comme un explorateur plutôt que comme un artiste ?
Hergé [le père de Tin Tin NDR] décrivait mes performances comme des "aventures". Il me considérait comme un explorateur dans une aventure. Et j'ai gardé cette définition: par exemple si quelqu'un me dit «oh mais vous improvisez!» je lui répond «pas du tout! Je suis dans une aventure». C'est un mot qui s'adapte mieux à ma façon de vivre. Je ne répète jamais pour un concert, je n'ai aucune tendance à la discipline. Répéter est pour moi une façon de se clouer à une routine. Si je n'ai aucune routine, je n'ai pas d'automatismes et quand le moment arrive je ne sais pas exactement quelle sera mon action… et ça devient une aventure. L'exercice éloigne les risques propres à l'aventure et personnellement j'aime bien ces risques.
Qu'il s'agisse d'un film, d'un enregistrement, d'un disque comment te poses-tu par rapport au "résultat" de l'aventure?
À mon avis l'aventure devient ce qu'elle pouvait devenir, ce qu'elle voulait devenir. En tout cas je n'écoute jamais mes propres productions car il s'agirait d'un "regard en arrière" qui m'éloignerait de la prochaine aventure. Je préfère que ce soit le public qui réponde, ou qui donne une interprétation à mon travail. Je me situe à l'opposé de beaucoup d'artistes comme LaMonte Young et les gens de FLUXUS qui eux ont une volonté de contrôle. Cela n'empêche que pendant l'aventure j'exerce un certain contrôle mais après, le moment passé, le travail existe et commence sa propre vie sur laquelle je n'ai pas de contrôle.
Donc exister pleinement dans l'instant est au cœur de ta création.
C'est même ma spécialité… malheureusement! Je dis "malheureusement" car cette habileté économiquement est un problème: comment la présenter, comment la vendre ? Il ne s'agit pas d'un objet ni d'une idée mais d'une possibilité. De plus la plupart des fois j'ai une véritable allergie à tout ce qui est "paquetage", classification… et je suis donc moins "vendable".
Mis à part ces facteurs tes travaux sont publiés et distribués.
Oui grâce à Sonic Youth, Glenn Branca… toute cette nouvelle génération… c'est eux qui se sont intéressés a mon travail, et ils l'on produit…
Mais il y avait déjà des disques à toi de la fin des années '60
Oui j'avais pubblié deux vinyles aux quels personne ne s'est jamais intéressé et qui ont donc disparu de la circulation. En 1993 j'avais seulement ces deux disques et maintenant j'en ai 40 ! C'est incroyable.
C'est bien… non ?
Je ne suis pas contre, mais comme je viens de dire, je ne les écoutes pas, je ne veut pas me rappeler exactement. J'aime pouvoir revivre l'aventure, faire des faux pas… Comme ça je peut m'amuser, être moi même et faire à ma façon. Les disques je les garde dans la cave comme ça je peut les donner à qui me rend visite… et souvent ils aiment [rires].
Quel rôle joue l'espace dans tes aventure ?
Je suis incapable de concevoir quoi que ce soit dans un "non-espace". Il y a des personnes qui préfèrent travailler dans un studio moi je n'en serai jamais capable. J'ai besoin du monde physique.
Cela signifie que tu as besoin de ressentir la réponse acoustique de l'espace ?
Pas exactement. Récemment Oren Ambarchi m'a invité à faire une performance au Cafe Oto à Londres. Une heure avant le concert je me suis installé au bar pour boire une bière et pour écouter ce qui se passait, l'ambiance. De cette façon j'ai pu absorber l'énergie de l'espace; j'ai pu trouver une façon pour ressentir l'unicité de cet espace – qui n'était pas particulièrement stimulant: c'est un cafe pas une cathédrale.
Ca me paraît donc plus une question d'atmosphère que d'espace.
Atmosphère, voilà le terme! C'est indispensable pour moi. D'habitude pour les concerts ils te disent: « reste ici et après la présentation monte sur la scène». Cette façon de faire n'a rien a voir avec ma façon de travailler. J'ai besoin d'avoir déjà un sentiment, une relation avec l'atmosphère de l'espace où je vais agir. Cette attitude est décisive pour le déroulement de l'aventure: ce n'est pas un truc dans ma tête, il ne s'agit pas d'une idée mais de quelque chose qui existe seulement là dans l'espace et dans le temps.
Je perçoit quand même une certaine "imperméabilité" dans tes aventures aux événements sonores de l'environnement. Tes œuvres imposent immédiatement leur propre espace: par exemple Strumming Music ou d'autres composition… disons… "minimalistes".
Elles ne sont pas du tout "minimalistes". Je n'y trouve vraiment rien de "minimaliste"…
Je te demande pardon ça n'était pas le bon adjectif…
Oh non, non! C'est une question importante pour moi car il s'agit d'un adjectif que je ne supporte pas. Ça n'est pas minimale, c'est de la vibration: vibration primaire! Le minimalisme n'est qu'une idée…
Je comprends tu as dit en effet dans un autre entretien "je fais une musique maximale avec le minimum d'éléments".
Exact. Quand je fais n'importe quoi… par exemple boire mon whisky, c'est du "maximale": c'est à dire que moi je soulève seulement mon verre et je l'approche à mes lèvres, un geste minimal mais son effet est maximal ! [rires]
À propos des mots, il me semble que tu as aussi une aversion pour "improvisation".
Bien sur. Il s'agit seulement d'un mot que l'on a l’habitude de coller sur n'importe quoi comme s'il pouvait définir quelque chose de précis. Je ne suis pas Coltrane ni Pina Baush… combien de façon différentes d'improvisations existe-t-ils ? C'est pourquoi j'aime bien aventure, ça reste ouvert. Quand on me dit que je "improvise"… le jazz, la musique baroque, le flamenco… eux aussi "improvisent" mais je n'ai rien en commun avec ces pratiques. Ça n'a pas de sens. On a des noms différents pour les fleurs, les couleurs, les parfums des glaces, les voitures… je me demande pourquoi on peut pas avoir des nom différents pour ces pratiques là ?
As-tu une proposition ?
Les Esquimaux ont des dizaines de termes pour décrire la neige, le Polynésiens pour les vagues… Si dans ma vie j'avais eu l'occasion de rencontrer un "esquimau-linguiste" on aurait surement définit plus précisément la question. [rires]
Quel est le rôle du temps dans tes aventures?
Si les organisateurs présentent une des mes performance en disant que ça va durer 5 heures il n'y aura personne qui viendra; les gens ont peur d'une telle durée. S'il l'annoncent d'une heure la salle est pleine. Tout ce mouvement a commencé dans les années 60 en Californie, on avait tous beaucoup de temps a disposition, on était tous un peu "herbivores" et ainsi on n'avait aucune préoccupation sur les différentes perception du temps. Souvent on me demande la durée des mes performances mais moi je n'ai jamais une montre avec moi. Parfois je suis épuise après dix minutes, je n'ai plus d'énergie, l'atmosphère devient lourde et je me sens comme si j'avais joué pendant plusieurs heures. Parfois il me semble qu'une poignée de minutes se sont écoulés et en réalité ça fait plus d'une heure. La perception du temps est influencé par trop d'éléments, il est difficile de décider à l'avance. Moi ce que j'essaye de faire est de laisser les portes ouvertes… au temps!
Qu'est-ce que ça signifie pour toi le silence ?
Le silence est quelque chose de mordant. À mon avis le silence le plus intéressant est celui qui s'installe après un événement
choquant, surprenant, car on le perçoit d'une façon physique. Le silence tel que l’entendait Cage demeure, selon moi, dans une sphère intellectuelle. En faire l’expérience est une façon plus intense de le ressentir que de l'écouter comme si c'était de la musique.
Quel est ton rapport avec la figure de Cage ?
Cage aimait la musique de notre génération, c'était un type gentil mais il avait besoin de se sentir "le chef", et moi je n'aime pas les chefs. Une fois il m'a demandé de faire une performance avec Merce [Cunningham NDR]. Eux avaient inventés, dans les années 50 cette formule intéressante où le chorégraphe et le musicien travaillaient séparément et se retrouvaient seulement lors de la performance: une vraie aventure. Mais en 1975 Cage me demanda "j'aimerais bien que tu joues du piano". Quoi ??? John Cage me dit ce que je dois faire ? Pour ma part je décidai de préserver l’intégrité de la forme ouverte qu'ils avaient eux-mêmes mise en place. Dans le studio de danse de Merce il y avait un grand panneau avec marqué dessus "no-cigarettes et no-chaussures"; donc après quelque minutes passé au piano je me suis levé - en fumant mes Kretek [cigarettes au parfum de clous de girofle ndr] et avec mes bottes – et j'ai commence à interagir avec les danseurs dans l'espace, a chanter… en d'autre mots à être moi-même. J’étais convaincu d'être en train de faire exactement ce qu'ils demandaient… à la fin ma performance ne fut guère apprécié d'aucun des deux et je me suis retrouvé sur leur liste noire pendant des années. Ils aurait du s’apercevoir qu'en 1975 les temps étaient révolus et qu'il n'y avait pas que les "bon enfants" du conservatoire qui jouaient leur "formes ouvertes"… il y avaient aussi des dingo [une sorte de chien sauvage d'Australie NDR] comme moi ! L'honorable couple Cage/Cunningham ne pouvait pas supporter la charge émotionnelle et énergétique de ma performance. Je n'avais pourtant fait aucune violence ni blessé personne… mais on avait des visions différentes, donc… liste noire !
On dit que l'espèce des Dingo est menacée par leur croisement de plus en plus fréquent avec les chiens domestiques. Qu'en penses-tu ?
C'est vrai, moi aussi je suis un croisement d’espèces différentes, mais ce qui est le plus important c'est la vitalité de son propre dingo intérieur, et le mien il est aujourd'hui encore bien vivant.
TOSHIO HOSOKAWA
Fabrizio Rota: You wrote several compositions named "Landscape". Which kind of landscape do you refer to?
Toshio Hosokawa: I love very much nature and landscape. For me landscape is at the same time an "inner" element and a "real" one. I think the memory of my childhood's landscape influenced a lot my perception. Nevertheless there is a difference in japanese and european thinking. I always said that there is a relationship between my music and calligraphy, but calligraphy do not reduce itself to the sign, the white space that surround the sign is equally important. In the same way silence is so important in music: everything comes out and dies into it. I compose as if I was looking at a landscape and what I try to enjoy - and to focus on - in this "vision" is the space between the elements. For instance in most of european classical gardens you can appreciate the symmetry of the construction. The different perspectives that the arrangement offers to you are related to a global plan. It makes little sense to look at a japanese garden from a bird-eye view, we do not have any symmetry, it is the definitions of the single element -a stone, a tree, a water pond…- that makes you perceive new landscapes, new relations. In japanese culture the very presence of the perceiver is a central issue. In japanese music there is not an architectural plan: traditional music is mainly an alternation of sound and silence, sound and silence… Sounds rise and disappear, this is the process that I follow, this passage from silence to sound, this merging of sound into silence and vice versa is what I like to hear. When I look at a landscape is the rising and the decay of forms and the emptiness that surround these forms that I try to perceive. Different sound and different silences this is the soundscape I want to enjoy. These are the elements that composes my own "Landscapes".
FR: And what about titles like: Cloudscape, Seascape…
Cloudscape, even if it shares the same relation of full and empty than the others Landscapes,is more influenced by an actual landscape, its development is closer to the depiction of a cloudy landscape. Sounds move very slow and the general colour is changing as the light of the moon over a nocturnal landscape. I love very much to observe the slow motion of these changes.
FR: Do you think that the european tradition of symphonic poem had an influence on your music ?
TH: Metaphor is a very important force in my compositional method.
When I compose I always starts from an idea, an image. For instance in Moment of blossoming -which is a concerto for horn– the horn represents the lotus and the orchestra is what surround the flower: nature, cosmos, water… The soloist -the lotus- must go towards blossoming and this process is what I wanted to explore. It is the miraculous energy that brings the lotus flower from the dark muddy world to the blossoming on the water surface that I wanted to espress. It could also be a metaphor of the spiritual growing of every being. For the lotus blossoming is expressing its true self in its relation to nature, and by the way I suppose that the hands position in the act of praying is just like a lotus bud. In The Raven [monodrama for mezzo-soprano and ensemble, from E.A. Poe] the soloist, the voice represents the human being and the orchestra is the nature -in its visible and invisible manifestation- surrounding the human being: in this composition too I focus on relations. So in a certain way for me sound is metaphor of an image, a character: flower, cloud, sea… This is nonetheless different from european symphonic poems. It is the relation to nature that is different: european artists have a "point of view" on nature (not all the artists but let's say in particular XIX century composers of symphonic poems), that is to say they look at nature from a certain distance; eastern approach is more involving. I am myself a part of nature, human being is part of nature, nature has to be felt from inside if you want "feel it" and not looked from outside. There is no clear border between me and nature I am part of it. It is a little different than european approach.
FR: Japanese culture put a supreme importance on the idea of "emptiness" as a state to be fulfilled, a potentiality of the being. Is there a relationship between this concept and silence?
TH: In my mind silence and sound are not enemies. If you are listening to very deep silence you are -at the same time- listening to the powerful sound that inhabits this silence. If you are listening to a beautiful, powerful sound you listen to the deep silence that support it as well: it is yin and yang. In my music I'm looking for this meaningful strong sound but it must contain silence too, it is very important. In calligraphy, if I draw a beautiful line it is because behind it, behind the movement of this line there is a wide and powerful empty space. This emptiness is Ursprung [origin/source ndr] energy. In japanese art this energy is very important. When I draw a line what you can see on paper is only a part of the complete line movement; nevertheless you can perceive and appreciate the hidden movement that generated the line. For instance in Nô theatre the gesture made by the percussionist to hit the drum makes no sound, but if this silent gesture is not alive the actual sound that comes out of the drum is poor. I am always looking for a strong sound, a strong emptiness.
FR: Emptiness in shinto shrines is conceived as an invitation to gods and to the wishes and prayers of human beings. Is emptiness in your music an invitation to listen ?
TH: I would rather say it is an invitation to Ursprung energy.
FR: Which role plays intuition in your work ?
TH: Intuition is for me the power of nature. A calligrapher put himself in a state of receptiveness and when something comes he have to trace its presence immediately without analysing it. European composers constructs, and this is great, I appreciate this way of composing. In my own work what is important is this moment when I trace this line.
FR: How can you manage this velocity with the standard system of music writing. Japanese language is very effective to "say it in a gesture", but staves and notes are not alike.
TH: You are right but I've developed my strategies. First I try to write as fast as possible and not to analyse what I wrote. Then I leave the material "to leaven"; I let pass a good lapse of time before coming back to it. Then when I come back to it if I found that is good material I work on the details, otherwise I throw everything away and I start anew.
FR: Personally I find that sometimes your music could became very dramatic, it shows sudden outburst of energy carrying a lot of pathos, a lot of passion... Where does this dimension come from ?
TH: It also comes from nature. Nature has often this sudden explosions of energy, and for me what is important is… the germans say "Verklärung"...
FR: Transfiguration...
TH: Yes transfiguration! After the explosion, after that chaos something very clear has to come. It is a catharsis, a purification, this extreme power destroys everything to build something new. I want my music sounding like nature that's where all comes from.
FR: Can you mark some difference between the european and the japanese contemporary music scene ?
TH: We japanese do not have such kind of music like art music. We posses many beautiful music but it is never independent as art. Music is always linked with something else: ritual ceremony, dance... Western european music has this particular status of independence. I love this pure sonic dimension of music and I hope that Japan could learn this sonic sensitivity. In Europe there are very good audiences, very good organizers and they are able to set up good situations for listening to music. In Japan is more difficult, this kind of sensitivity towards music is not developed.
FR: Which is your attitude towards the recording of your music ?
TH: I'd rather prefer live sound. Today you can listen to recording in a very concentrated way and this is a good thing, but I enjoy more a live musician. To share the space with the bodies of the musicians is very important to me. I need to share this space, this atmosphere, I like to be there. I need to live in this space and time to appreciate the music inside my being.
(Brussel 3 may 2012)
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